Mes formations
Ma première grande leçon de psychothérapie m’a été donnée par le psychiatre psychanalyste Ronald Laing
Ronald Laing (1927-1989) était psychiatre, psychanalyste et co-fondateur avec David Cooper d’une pratique qu’ils ont appelé l’anti-psychiatrie. avait une notoriété internationale due à son regard rebelle sur la psychiatrie traditionnelle. Selon lui le « fou » avait droit à la parole et il suffisait qu’on la lui donne avec une véritable écoute humaniste, de personne à personne et non de soignant à soigné, pour qu’il trouve ses repères, soit mieux dans sa peau, moins décalé avec les autres. Et comme il disait qu’il écoutait les gens avec sa propre part de folie, je me suis dit qu’il allait peut-être me comprendre et j’ai voulu le rencontrer.
Malgré mon master de psychologie, je ne pouvais pas envisager de me former à la psychanalyse, dans la mesure où celle-ci ne m’a pas permis de devenir un être humain viable pour moi-même ni pour mes proches. Cependant elle m’a beaucoup apporté: grâce à elle j’ai pu déculpabiliser, en découvrant que tout le monde a une face cachée, avec des désirs parfois inavouables, souvent transformables. Grâce à elle j’ai réalisé que je n’avais pas de désir du tout, que j’étais vide, attentive à ne pas me noyer, en survie. Par chance, mon côté décalé amusait mes amis, ce qui m’a permit de ne pas être totalement seule. Mais intérieurement je me sentais inhabitée, incapable de savoir ce que je ressentais. J’avais juste besoin qu’on me prenne par la main, qu’on me sauve de moi-même, qu’on me rende la vie agréable, qu’on m’aide à ne plus m’ennuyer, qu’on vive à ma place.
Je n’étais personne et je ne voyais que Ronald Laing pour me comprendre.
Mais c’était très difficile d’avoir Ronald Laing comme thérapeute. Il était très occupé en Angleterre à créer trois lieux d’accueils pour des patients considérés comme schizophrènes.
C’est en Suisse, à Zurich que je suis allée le rencontrer. Il animait pour des psychothérapeutes une formation d’une semaine sur son approche de la maladie mentale. Toute jeune diplômée, je me suis inscrite avec l’espoir que, lui, verrait de quoi je souffrais réellement. A un moment où il demande qui veut être sujet pour une démonstration devant le groupe, je lève la main. Il m’invite à formuler mon problème. Je lui réponds que je ne me sens pas femme et que, d’ailleurs, je ne me sens personne. Nous étions en fin d’après midi. Il proposa que nous remettions la démonstration au lendemain, dernier jour du stage.
Mais le lendemain, il en avait décidé autrement. Il voulait montrer au groupe des vidéos de son travail avec les schizophrènes et avait chargé l’organisateur du stage de me prévenir de ces changements de dernière minute et de me dire que lui et moi aurions une conversation en privé après le stage, pendant le retour à son hôtel. Comme c’était de la formation et non de la psychothérapie, j’étais supposée accepter. De plus, il était très séduisant. J’aurais bien aimé qu’il y ait un double sens à cette proposition, mais je me suis dit que le thérapeute avait infiniment plus d’importance pour moi que l’homme, aussi sexy soit-il.
Après le déjeuner il annonce donc au groupe que lui et moi nous nous sommes entendus pour nous voir après le stage, concernant le problème que j’avais soulevé la veille, et qu’il allait plutôt montrer des vidéos. Tout le matériel était installé.
Courageusement je rectifiais, en disant que nous ne nous ne nous étions pas « entendus » mais qu’il m’avais mise devant le fait accompli et que, étant en formation et non en thérapie, je ne pouvais qu’accepter, mais qu’en ce qui me concernait, j’avais très envie de faire ce travail dans le groupe avec lui.
La trentaine de personnes présentes réagit en chœur pour exprimer l’envie de le voir travailler avec moi « en live » plutôt que de regarder des vidéos.
Furieux, il fit signe aux organisateurs de débarrasser les tables, la télé, les cassettes vidéo, de mettre les chaises en cercle et nous fit signe de nous asseoir. Il s’assit lui même, en position fermée, jambes croisées, replié, un coude sur les genoux, le menton dans une main et le regard au sol. Comme un seul homme, tous les participants s’assirent eux aussi et tournèrent leurs yeux vers moi.
« Alors Catherine ! » me dit quelqu’un.
« Alors quoi ? » répondis-je. « Qu’est-ce que je peux faire avec un thérapeute qui est replié sur lui-même et qui ne veut manifestement pas travailler avec moi?»
Ronald Laing continuait à regarder le sol d’un air fermé. Quelqu’un dans l’assistance me dit, « vas-y » ! Une américaine renchérit : « Si tu ne prends pas ta chance, tu le regretteras !». Je me projetais dans l’avenir et me dis qu’elle avait raison. Etre avec un psychiatre qui comprenait les fous et qui disait utiliser sa propre part de folie pour les traiter, avoir la chance de travailler avec lui et ne pas la saisir, j’allais le regretter toute ma vie. Je pris ma chaise et m’avançai vers lui qui continuait à regarder par terre d’un air fermé. Me voyant approcher, il me fit un geste brusque pour que je ne vienne pas trop près. Je posai ma chaise à une distance qui sembla lui convenir puisqu’il ne broncha pas et je commençais.
Je ne sais plus ce que je dis exactement. Je sais seulement que j’étais plutôt douce et pas en demande. Je laissais les mots sortir spontanément en anglais (tout le monde parlait anglais) et c’était sans doute assez proche de: «Je suis française et je viens de Paris en voiture pour vous rencontrer. J’ai lu plusieurs de vos livres et ce que j’aime en vous c’est votre humanité. J’ai une petite chance que vous me compreniez parce que vous dites dans un de votre livre que vous travaillez avec votre propre part de folie. C’est la première fois que j’entends un psychiatre reconnaître qu’il a lui aussi une part de folie. Si je suis là c’est pour ça, je ne vois pas qui d’autre que vous peut me comprendre. Vous êtes replié sur vous-même, vous ne me regardez pas, je ne m’attendais pas à cela, mais je ne suis pas déçue parce qu’en faisant cela vous êtes authentique et cela répond totalement à mes attentes. Je suis contente d’avoir cette chance de travailler avec un thérapeute authentique, même si votre authenticité vous amène à ne pas vouloir me parler… ». Vers la fin de mon discours il a commencé à relever la tête et à me regarder gentiment. Il ne boudait plus. Nous avons eu une vraie communication. Il était très attentif. Je ne me souviens plus du contenu de cette conversation mais j’ai découvert qu’avec la douceur et la fermeté je pouvais obtenir un contact authentique alors qu’a-priori celui-ci était impossible.
Pour Ronald Laing, même le fou a le droit à la parole. Encore faut-il qu’il ait l’occasion de la prendre, qu’il soit en situation de le faire. Je me souviens que, dans certaines de ses vidéos, il offrait une cigarette à un patient schizophrène lors de la consultation ou il lui demandait s’il en avait une. Il instaurait une ambiance d’égal à égal. On ne sentait pas, en regardant la vidéo, qui était le docteur et qui était le « fou ». Il n’avait pas, comme les autres, un visage gentiment neutre pour regarder son patient et lui demander comment il va et ce qu’il ressent. Une véritable relation pouvait avoir lieu. Peut-être était-ce cela que Ronald Laing voulait nous transmettre: le thérapeute n’est pas seulement une fonction, un miroir. Il n’est pas là pour protéger son patient. Il propose un cadre relationnel, dans lequel le thérapeute est un être humain comme un autre en face duquel le patient va trouver un moyen d’exister.
Les psychothérapies de groupe
La psychothérapie de Carl Rogers. J’ai découvert la psychothérapie de groupe rogerienne grâce au professeur Michel Lobrot qui faisait des démonstrations à l’Université de Saint Denis et une formation pour les gens qui se destinaient à la psychologie. Dans cette approche, le thérapeute est à la fois neutre, très chaleureux, accompagnant et pas contrariant. Je me sentais écoutée et contrairement à ce qui passait en psychanalyse, je ne me sentais pas bloquée par mon vide intérieur. Je dois d’ailleurs reconnaître que je ne me sentais plus vide. Mais en même temps, dans cette forme d’écoute, je ne sentais pas de frontières. Il me fallait une thérapie qui ressemble à la vie, dans laquelle je puisse apprendre comment les gens me voient, pourquoi ils ne m’aiment pas, pourquoi je leur paraissais bizarre.
J’ai rarement vu un psy avoir une technique d’écoute aussi ouverte, une acceptation de l’autre aussi inconditionnelle. Mais je n’étais pas d’accord avec la non directivité comme règle absolue, pour des gens qui comme moi étaient totalement dépourvus de cadre.
L’analyse transactionnelle
J’ai découvert l’analyse transactionnelle dans cette même université où Isabelle Crespelle menait son cours avec un dynamisme qui forçait l’admiration. L’ami qui m’avait fait découvrir ces cours les adorait, bien qu’il sache à peine écrire.